Monsieur le Préfet,

Madame la Sous-Préfète

Mesdames et Messieurs les membres du Conseil d’Evaluation,

Madame la Députée,

Madame la Sénatrice,

Le Centre Pénitentiaire de Riom a ouvert ses portes il y a maintenant plus de 8 ans.

Dans le même temps 3 structures « vieillissantes » (la maison d’arrêt de Clermont Ferrand, la maison d’arrêt de Riom et le Centre de Détention de Riom) accueillaient leurs derniers pensionnaires.

Désormais les personnels et les personnes détenues allaient découvrir l’incarcération dans un nouveau type d’établissement pénitentiaire : un Etablissement à Réinsertion Active (ERA).

Ce concept, défini juridiquement nulle part, mettait en avant des conditions de détention plus favorables pour les détenus (notamment un encellulement individuel garanti de jour comme de nuit, un panel d’activités important garantissant un minimum de temps passé en cellule, du travail pour tous, un accès au soin facilité par la présence d’une Unité Sanitaire bien équipée, etc.…).Tout ceci avec pour objectif de réduire les violences en détention et promouvoir une réinsertion « active » c’est-à-dire l’action conjuguée de la personne détenue dans le cadre d’une autonomie accrue lors de son parcours de détention et le cadre institutionnel favorisant cette réinsertion.

C’est aussi un Partenariat Public/Privé en lien avec la société GEPSA dans le cadre d’une gestion déléguée qui devait concourir à l’efficacité et la qualité des services rendus tant aux personnes détenues par le biais du travail, de la formation professionnelle, de l’hôtellerie, de la restauration qu’aux personnels pénitentiaires au travers de l’entretien du bâti et des moyens techniques associés.

Dans un même temps, ce concept devait apporter aux personnels pénitentiaires des conditions de travail améliorées (moins de violence, travail valorisé dans le parcours de réinsertion du détenu, cadre de travail et supports techniques modernes…).

Au-delà de cette présentation idyllique, notre organisation s’inquiétait déjà des rythmes de travail et notamment du volume d’heures supplémentaires important imposé à certains personnels de surveillance.

De plus ce concept novateur, mais très flou pour les personnels, de « réinsertion active » posait question.

En effet les maisons d’arrêts accueillent tous les types de profils de détenus.

Pour affecter un détenu dans un ERA, il faudrait effectuer un indispensable travail d’évaluation qui ne peut être fait avant l’incarcération.

Malgré les doutes et les incertitudes, l’ensemble des personnels s’est investi avec un grand professionnalisme dans ce concept et a créé de toute pièce les procédures inerrantes au fonctionnement de la structure que nous connaissons.

Alors quel est le visage aujourd’hui du Centre Pénitentiaire de Riom ???

Notre organisation a vu, les années passant, le nombre de personnels de surveillance diminuer alors que dans le même temps les chiffres de la population carcérale ont explosé.

Plus de 700 détenus hébergés pour 568 places : tous les quartiers sont touchés sauf le bâtiment Centre de Détention.

L’année 2023 a vu une augmentation de 110 détenus par rapport à 2022.

Cette surpopulation carcérale a évidemment de graves conséquences sur la prise en charge des personnes détenus par le personnel.

La promiscuité engendrée dans les maisons d’arrêts par l’apposition de nombreux matelas au sol (plus de 100 actuellement) dans des cellules individuelles de 8,5m2 est génératrice de violence entre les détenus et parfois envers les personnels pénitentiaires qui ont la responsabilité de plus de 60 personnes sur leurs étages prévus pour 40.L’impact de ce phénomène est également visible sur les activités proposées aux personnes détenus : le nombre limité de participants contraint l’Administration à faire des choix qui exclus certains détenus et plus particulièrement ceux qui ont une courte peine.

Le constat est le même pour le travail pénal : les délais s’allongent.

C’est ainsi tout le concept de « réinsertion active » qui est mise à mal par la surpopulation carcérale.

Les personnels pénitentiaires sont en quête de sens dans leurs missions : les surveillants n’ont plus le temps d’effectuer des observations nécessaires à une prise en charge qualitative des détenus, plus le temps non plus pour créer un lien de communication indispensable à la gestion humaine de leurs unités de vie.

Les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation sont également en perte de sens dans cette gestion de flux entre les personnes entrantes et sortantes. La prise en charge est restreinte, les instances sont chronophages et la mise en place d’outils notamment pour le travail essentiel sur les auteurs des faits n’est plus possible.

La société privée est également impactée par la surpopulation carcérale : plus de matelas, plus assez de draps et des distributions notamment les cantines de plus en plus longues et importantes en termes de flux.

Concernant le partenariat avec la société GEPSA, de nombreux incidents techniques ont eu lieu sur notre structure : des coupures d’électricité générale notamment celle sur l’ensemble du Quartier Femme, des défaillances techniques à répétition sur les serrures électriques, des ruptures de canalisations d’eau dans tous les bâtiments générant parfois de graves inondations, jusqu’à l’épisode tragique des fenêtres de détention fin d’année 2023.

Cette incapacité par la société privée de fournir des fenêtres en détention laissant ainsi jusqu’à plus de 20 cellules sans ouvrant au plus fort de la crise démontre les limites du partenariat public/privé instauré il y a plus de 8 ans maintenant.

Notre organisation dénonce une fois de plus cette relation contractuelle qui coute très cher aux contribuables français et qui, parfois, ne fournit pas une prestation conforme aux attentes de notre Institution et utile à nos personnels.

Les attentes des personnels sont grandes également en matière de sécurité.

En effet le Centre Pénitentiaire de Riom est noyé sous les projections issues de l’extérieur ainsi que par les livraisons avec l’aide de drones.

C’est un véritable fléau pour la sécurité des agents exerçant leur mission au sein de l’établissement. Même si concernant les drones un dispositif de lutte et de détection a été installé, en ce qui concerne les projections seuls des rosiers ont été plantés pour dissuader les éventuels projeteurs de s’approcher du mur d’enceinte.C’est peine perdue puisque chaque nuit et parfois même en plein jour des projections passent par-dessus les murs : des produits stupéfiants, des outils, des smartphones, des lames de scie mais aussi de la viande et des friandises…sont régulièrement retrouvés par les agents dans les zones neutres de l’établissement.

Notre organisation propose depuis plusieurs années l’installation de filets ou de grillages destinés à entraver les jets d’objets et/ou la récupération de ceux-ci par les détenus.

Rien n’est fait et malheureusement ce phénomène constitue une faille majeure de la sécurité périmétrique de l’établissement et pourrait conduire à l’introduction d’objets type arme à feu, arme blanche et même des explosifs qui constituent un risque potentiellement mortel pour les personnels.

Un risque mortel qui m’amène à vous parler du drame qui a frappé notre Institution le 14 mai dernier.

2 agents sont morts exécutés sans sommation par des individus équipés d’armes de guerre lors d’une extraction judiciaire et ceci dans le but de faire évader un individu confié à l’Administration Pénitentiaire par l’Institution Judiciaire. 3 agents ont également été blessés lors de ce traquenard.

Suite à cet acte ignoble, les organisations professionnelles représentatives, agissant en intersyndicale, ont décidé de bloquer tous les établissements de France dans le but tout d’abord de rendre un hommage solennel aux collègues et à leurs familles qui ont été touchés par cette attaque et dans un deuxième temps pour que notre Institution prenne la mesure de la situation actuelle.

La reprise des missions extérieures par l’Administration Pénitentiaire se heurte à un manque de moyen humain flagrant. Pas assez de personnels pour couvrir les postes de détention (pour rappel à Riom 185 surveillants sont à l’effectif pour 218 prévus) et bien sûr pas assez d’agents pour exécuter les extractions judiciaires et médicales armées.

Depuis 2011, la carence en personnel est telle que jamais l’Administration Pénitentiaire n’a été en mesure de reprendre en totalité ces missions.

Suite à ces 3 jours de blocage, un relevé d’avis est signé par le Ministère de la Justice et très prochainement un protocole d’accord sera rédigé avec le concours de l’Intersyndicale.

Des moyens humains et matériels doivent être mis en place rapidement et des réflexions doivent s’organiser autour de certains sujets.

Ainsi le développement de l’utilisation de la visio-conférence dans le domaine judiciaire afin d’éviter le plus souvent possible d’extraire les détenus les plus dangereux nous paraît être un sujet majeur.

Chaque mois, le Centre Pénitentiaire de Riom se transforme en un lieu où se rend la justice : les commissions d’application des peines, les débats contradictoires, le Tribunal de l’application des peines sont des instances, présidées par des magistrats, créatrices de droit pour les personnes privées de liberté.Nous sommes convaincus qu’une concertation doit être menée entre tous les acteurs de la justice afin de dégager des axes d’amélioration dans le respect des missions de chacun.

Ensuite le recours à la téléconsultation dans le domaine de la santé permettrait également de réduire les extractions médicales qui sont des missions extérieures délicates : le transport vers un établissement de soin accueillant du public dans un espace moins sécurisé que l’établissement pénitentiaire demeure à l’heure actuelle une mission périlleuse pour les personnels.

Dans ce domaine nous considérons qu’une réflexion globale et pluridisciplinaire doit être engagée entre les différents acteurs de la santé en milieu pénitentiaire.

La santé en prison m’amène à vous parler des nombreux détenus hébergés au Centre Pénitentiaire de Riom présentant des troubles mentaux.

C’est une gestion extrêmement difficile pour les agents dépourvus de formation dans ce domaine et parfois même dangereuse pour eux (à l’image des agressions subies par les personnels de surveillance).

L’absence de place dans les structures psychiatriques en ville gonfle le contingent de personnes affectées de maladies mentales présentes dans notre établissement.

Le constat est alarmant : un établissement pénitentiaire n’est pas un lieu de soin et les personnels pénitentiaires ne sont pas des personnels soignants.

Il faut aujourd’hui 6 à 8 mois d’attente pour avoir un rendez-vous avec un psychologue au Centre Pénitentiaire de Riom !!!

L’ensemble des problématiques que je viens d’évoquer devant vous acte la fin du concept ERA à Riom. Il reste un établissement pénitentiaire fragilisé par le manque de moyen humain et par une architecture non adaptée aux menaces actuelles.

La prise en charge qualitative tant espérée par les créateurs de ce concept voit ses limites atteintes par la surpopulation carcérale, les projections qui sont légion, les missions extérieurs qui accaparent du personnel hors de la détention.

Les violences en détention sont quotidiennes entre personnes détenues et parfois à l’égard des fonctionnaires pénitentiaires.

Tant que notre Institution n’aura pas la maitrise des flux de population qui lui sont confiés, un concept tel que celui de l’ERA de Riom n’aura pas de place dans le paysage pénitentiaire français.

Je vous remercie, Mesdames et Messieurs, pour votre attention.